A l’heure où l’art repousse toujours plus loin les limites du politiquement correct et le respect des règles d’une certaine éthique, les amateurs d’art voient apparaître le bioart ou l’art transgénique pour ne citer que quelques exemples parmi toutes les tendances artistiques qui se rapprochent des pratiques des domaines des
sciences exactes.
Nous sommes dans un siècle où l’interdisciplinarité règne et l’artiste n’y échappe pas, il se rapproche des sciences pour créer certaines de ses œuvres. Les expérimentations et découvertes scientifiques lui permettent de développer un art fondé sur certaines lois scientifiquement validées. Et cette relation ne s’arrête pas là, l’artiste questionne le monde scientifique, il s’en inspire, utilise ses codes, ses matériaux et ses concepts ou traduit autrement certaines vérités. Entre rigueur scientifique et décalage artistique, un champ de réactions empiriques s’ouvre à la
sensibilité plastique.
L’exposition «Bouillons de culture» s’ intéresse aux fluides présents dans certaines créations contemporaines de design et d’art contemporain qui font référence au domaine et au langage des sciences : cycle de l’eau et création d’un nuage, échange de molécules et loi de la gravité, couches cellulaires naissantes à la surface de l’eau, poumon domestique, vinothérapie, liquide de conservation pour mémoire contemporaine, bouteille d’eau lourde et pluie acide… sont des propositions artistiques qui, exposées
ensemble, créent un laboratoire utopique.
Dans cet exposé introductif il ne faudrait pas oublier que l’art et la science visent un objectif commun : celui d’apporter une plus grande connaissance du monde ! Et il ne faudrait pas non plus oublier de citer Nelson Goodman (1) qui explique de manière forte intéressante les affinités qui existent entre ces deux domaines.
Pour le philosophe, les œuvres d’art fonctionnent quand elles informent la vision, et il précise : « ‘elles informent’ non pas en fournissant de l’information mais en ‘formant’, ‘re’-formant ou ‘trans ’-formant la vision, et non pas la vision confinée à la perception oculaire, mais la vision comme compréhension en général et il est clair que les œuvres scientifiques fonctionnent aussi de cette façon (2) […] Ce que nous révèle la science et ce que nous révèle l’art est très semblable. Quand un scientifique fait pour la première fois le lien entre chaleur et mouvement ou entre les marées et la lune, nos visions du monde sont modifiées de façon radicale. Quand nous sortons d’une exposition d’œuvres le monde dans lequel nous pénétrons n’est pas celui que nous avons quitté quand nous sommes entrés ; nous voyons tout en fonction de ces œuvres. La parenté entre l’apport de la science et celui de l’art a seulement été obscurcie par l’absurde fausse conception qui voit dans l’art un simple divertissement. »(3)
Anne-Virginie Diez, janvier 2012
1 – Philosophe américain des sciences et du langage (1906-1999)
2 -Cf. Nelson Goodman, L’art en théorie et en action, Editions de l’éclat, Paris, [1984], 1996, p.106
3 -Ibid., p.121.